Saturday, 24 October 2015
Pourquoi la chute des prix du pétrole déprime t elle les marchés financiers
En ce début d'année 2016, nous sommes témoin d'un phénomène curieux : il semble désormais y avoir une corrélation positive entre les indices boursiers et les cours du pétrole. En d'autres termes, lorsque le baril de brut baisse, les bourses mondiales dévissent. Lorsque le prix du pétrole remonte, les marchés financiers le suivent à la hausse...
Ce phénomène n'est pas seulement nouveau, il est à l'opposé de ce que le bon sens et la doxa économique tenaient pour une évidence il y a encore quelques semaines...
Pourquoi le prix du pétrole devrait avoir un effet positif sur l'économie
En principe, une baisse des cours du pétrole est sensé dynamiser l'économie des pays importateurs. A l'inverse une hausse peut, comme ce fut le cas lors des deux chocs pétroliers et en 2008, les précipiter dans la crise.
En effet, le cours du pétrole donne la direction du prix de l'énergie : il détermine très largement le prix du gaz et dans une moindre mesure celui du charbon. Ces trois ressources fossiles représentent, rappelons-le, plus de 90% de la consommation mondiale d'énergie primaire.
Or une baisse du prix de l'énergie stimule à la fois la consommation et l'activité :
- Coté consommateur : la réduction de la facture énergétique fait augmenter le pouvoir d'achat et permet des dépenses qui, dans les pays importateurs au moins, auront un effet multiplicateur plus élevé,
- Coté producteur : une énergie bon marché, ce sont des coûts de production qui baissent. L'énergie peut aussi se substituer partiellement à d'autres facteurs de production, notamment le travail, ce qui peut permettre d'augmenter la production.
Comme ce phénomène n'a jamais été observé auparavant, ces conséquences négatives sont à rechercher dans la conjoncture actuelle. Elles sont, à mon avis de deux ordres.
Les hydrocarbures non-conventionnels seront-ils les subprimes de 2016 ?
Il va de soi que si elle est positive pour les consommateurs, la baisse du prix du pétrole est négative pour les producteurs. De nombreux pays exportateurs d'hydrocarbure font déjà face à d'importants problèmes économiques. Ce n'est pourtant pas un jeu à somme nulle : dans le passé, les gains pour les pays consommateurs ont dépassé les pertes subies ailleurs, de telle sorte que le pétrole bon marché a profité à l'économie mondiale dans son ensemble. Est-ce que cela aurait changé ?
D'ordinaire, c'étaient des économies périphériques (Venezuela, Moyen-Orient, Angola, Nigeria...) et/ou relativement fermées (URSS dans les années 80) qui subissaient le contrecoup de la baisse du pétrole. Aujourd'hui la première économie mondiale est aussi exposée, ce qui change radicalement la donne.
En l'espace de quelques années, les États-Unis sont redevenus le premier producteur mondial d'hydrocarbures - place qu'ils tenaient jusqu'au début des années 70 mais à l'époque les prix étaient réglementés. Cet essor est basé sur des investissements importants dans l'extraction des gaz et pétrole non-conventionnels, une filière particulièrement onéreuse qui désigne les producteurs américains comme grands perdants de la baisse actuelle.
On peut même aller au-delà avec une question qui taraude sans doute les investisseurs : si les producteurs d'hydrocarbures s'enfoncent dans la crise, une contamination est-elle possible au reste de l'économie américaine ? Et en particulier au secteur financier ?
Le scénario catastrophe serait une répétition du credit crunch de 2008 avec l'oil & gas dans le rôle des subprimes :
- Une vague de faillite dans les hydrocarbures non-conventionnels,
- Les institutions financières qui sont engagées dans ce secteur commencent à prendre peur,
- On ne sait pas exactement qui est exposé et qui ne l'est pas donc plus personne n'ose prêter de l'argent,
- Faute de liquidité, le système financier cesse de fonctionner ce qui fait caler le reste de l'économie.
- Une vague de faillite : probable. Le coût de production des hydrocarbures non-conventionnels américains est autour de 15$ le baril et comme ceux-ci se négocient généralement en dessous du cours de référence (le West Texas Intermediate), il est probable que beaucoup de producteurs ne parviennent déjà plus à rentrer dans leurs frais. Selon Moody's, le risque de défaut aux États-Unis est au plus haut depuis 2010 et c'est presque entièrement à cause des pétroliers et gaziers.
- Des institutions financières qui prennent peur : c'est en tous cas ce que suggère la fébrilité des marchés.
- Un système opaque qui provoque une défiance mutuelle : ici, la réponse est moins évidente. La situation n'est peut-être pas aussi catastrophique qu'en 2008 où, par la grâce de la titrisation, des institutions qui n'avaient jamais fait de prêt hypothécaire se retrouvaient avec des actifs toxiques plein leurs placards, mais des incertitudes existent notamment parce que le secteur oil & gas américain est très financiarisé. Aux pertes potentielles liés aux prêts (qui se chiffrent déjà en centaines de milliards) s'ajoutent peut-être d'autres risques plus opaques.
Risque de déflation en Europe
La baisse du prix du pétrole pourrait aussi avoir un effet moins spectaculaire mais tout aussi dévastateur en faisant basculer l'Europe dans la déflation.
Pour comprendre de quoi il s'agit remontons un peu en arrière. Une baisse du prix de l'énergie entraîne une baisse des prix à la consommation, ce qui a priori stimule la croissance : les consommateurs gagnent du pouvoir d'achat, les entreprises vendent plus et l'activité augmente.
Mais ce n'est pas toujours le cas. Si la baisse des prix devient générale et durable, c'est-à-dire si on rentre en déflation, les consommateurs seront incités à retarder leurs achats (puisqu'ils ont compris désormais que la télé qu'ils veulent dans leur salon coûtera moins cher dans quelques mois), les investisseurs et les employeurs à leur tour deviendront attentistes et l'économie entrera dans une stagnation qui peut s'éterniser. C'est ce mécanisme qui est à l'origine de la "décennie perdue" au Japon, et un quart de siècle après le pays n'en est pas encore sorti...
Or l'Europe est depuis plusieurs années déjà sur le fil du rasoir avec une inflation très faible voire ponctuellement négative. A l'échelle nationale : en 2014, 5 pays européens étaient en déflation. En 2015, ils étaient 12, beaucoup n'y échappant que de l'épaisseur du trait : la France, l'Allemagne et l'Italie ont eu l'année dernière un taux d'inflation de... 0.1%.
Inflation annuelle dans la Zone Euro (source : Eurostat) |
- La méthode la plus conventionnelle consiste à baisser les taux d’intérêt : garder de l'argent sur son compte en banque devient alors moins intéressant et les consommateurs sont de nouveau incités à dépenser. Problème : comment faire lorsque le taux directeur de la Banque Centrale Européenne est déjà de 0.05% ?
- La seconde méthode est tout simplement d'imprimer des billets et de les déverser sur l'économie, ce qui doit faire diminuer la valeur de la monnaie et donc augmenter les prix. Toutes les grandes économies ont eu recours à un avatar de cette méthode - le quantitative easing - depuis la crise de 2008, la BCE a d'ailleurs accéléré il y a un an. Mais elle ne fonctionne pas en déflation : s'ils anticipent une baisse des prix, les agents économiques vont thésauriser l'argent qu'ont leur donne au lieu de le dépenser. Vous pouvez donc créer autant de monnaie que vous voulez, cela n'aura aucun effet parce qu'elle n'arrivera pas jusqu'à l'économie réelle, c'est ce qu'on appelle un "piège à liquidité".
Publié le 29 janvier 2016 par Thibault Laconde.
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