Saturday, 3 September 2016

Transition énergétique leçons de la sortie du nucléaire en Allemagne



L'Allemagne,  qui est comparable à la France par son histoire, sa culture, sa population et son niveau de développement, s'est engagée depuis une dizaine d'années dans une politique volontariste visant à augmenter fortement la part des énergies renouvelables au détriment du nucléaire dans son mix électrique.
Quel a été le chemin suivi par nos voisins Allemands ? Et quelles leçons peut-on en tirer alors que la France s’apprête à se lancer dans sa propre transition énergétique ?

Sommaire:
1. Les étapes de la transition allemande
2. Bilan en 2012
3. Leçons pour la France
 

Les étapes de la transition allemande : 3 périodes mais surtout une remarquable continuité


A partir de la fin des années 1980, l'Allemagne affiche ses ambitions pour les énergies renouvelables. Dès 1991, les prix d'achat de l'électricité renouvelable sont garantis par la loi. Solarworld, Enercon, Repower, Nordex... les champions du secteur prennent leur envol dans les années 1990 soutenus par un solide réseau de PME.

Le mouvement anti-nucléaire a été à l'origine du déclenchement
de la transition énergétique allemande et de ses orientations
Dans les années 2000, le gouvernement de Gehrard Schröder (coalition SPD-vert) annonce la "sortie du nucléaire". En réalité il s'agit de l'arrêt des construction de centrales auquel s'ajoute un accord avec RWE, Eon, EnBWE et Vattenfall, les 4 producteurs d'électricité nucléaire, pour fixer la durée de vie des réacteurs à 32 ans, ce qui conduit à la fin de la production en 2020. Cet accord donne une totale visibilité aux producteurs puisqu'il précise la quantité d'électricité qui peut être produite par chaque centrale avant sa fermeture.
Cette politique ne fait pas consensus : elle est critiquée par les opposants au nucléaire qui y voient des garanties offertes aux exploitants sans réel engagement de leur part d'autant que l'accord ne concerne pas les stades amonts (recherche et enrichissement) et aval (retraitement).
Plus grave : elle est attaquée par la droite qui promettait si elle avait remporté les élections de 2002 de "sortir de la sortie". En 2005, Angela Merkel est élue chancelière mais le SPD reste dans la coalition gouvernementale. Ce n'est qu'à partir de 2009, lorsqu'une nouvelle coalition CDU-FDP est formée, que la sortie du nucléaire peut réellement être remise en cause. En 2010, une loi prolonge d'une dizaine d'années la durée de vie des centrales existantes.

Mais quelques mois plus tard, l'accident de Fukushima entraîne un revirement spectaculaire, le gouvernement d'Angela Merkel revient à une position comparable à celle défendue par la coalition SPD-Vert 10 ans plus tôt. Dès le 15 mars 2011, 4 jours après le séisme, la loi prolongeant la durée de vie des centrales est suspendue conduisant à l'arrêt de 7 réacteurs. Un "paquet énergie" de 11 lois est voté par le Bundestag en juin 2011 à une très large majorité, les principaux points de ces textes sont :
  • Arrêt définitif de la production d'électricité nucléaire en 2022. Les réacteurs à l'arrêt (7 concernés par le moratoire plus le réacteur de Krummel qui connaissait des pannes à répétition) ne seront pas remis en service, l'un d'eux est cependant maintenu opérationnel jusqu'en 2013 afin de pouvoir être redémarré en cas de besoin exceptionnel.
  • Réduction de la consommation d'électricité de 10% entre 2010 et 2020 et encouragement de l'efficacité énergétique (recherche, standards thermiques, crédit, étiquetage...).
  • Soutien massif aux énergies renouvelables afin de doubler la production et atteindre 35% de la production d'électricité en 2020 ans puis 80% (60% de la consommation totale d'énergie) en 2050 : installation de 25GW d'éolien off-shore avant 2030, soutien renforcé à l'éolien terrestre, développement des infrastructures de transmission mais réduction des aides au solaire photovoltaïque...
  • Construction de centrales à gaz et à charbon pour assurer la transition : 10GW supplémentaires en 2020 qui s'ajoutent aux projets déjà en cours (12.5GW environ). 
  • Confirmation des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre : -40% par rapport à 1990 en 2020, -80% en 2050.
  • Limitation de la hausse des prix de l'électricité à 0.035€ par kilowatt-heure et compensation des surcoûts pour les industries fortement consommatrices en énergie.
Enfin, les investissement dans la recherche sont fortement relevés : Sur la période 2011-2014, 3.5 milliards d'euro seront consacrés à la recherche énergétique (+75% par rapport à la période précédente) dont 80% aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique.

La transition énergétique allemande n'a donc pas commencé après Fukushima : elle s'étale sur une dizaine d'années pendant lesquelles, malgré quelques tentatives, les grandes orientations n'ont pas été remises en cause.

Bilan 1 an après le paquet énergie : l'Allemagne tient la trajectoire


Un an après l'adoption du du paquet énergie, le bilan est encourageant. Les craintes affichées des deux cotés du Rhin suite à l'arrêt précipité de 8 réacteurs représentant 8% de la production allemande ne se sont pas réalisées : l'Allemagne n'a pas connu de coupures d'électricité pendant l'hiver 2011-2012 et elle est restée exportatrice d'électricité en 2011.
Les énergies renouvelables progressent vite : elles ont doublé le nucléaire et dépasseront 20% de la production cette année. L'objectif de 35% en 2020 semble largement accessible.

Cependant les énergies fossiles restent majoritaires et leur part va augmenter au moins temporairement. En effet la progression des énergies renouvelables est insuffisante pour remplacer le parc nucléaire, qui produisait environ un quart de l'électricité allemande en 2010, dans le délai imparti. C'est pourquoi 23GW de centrales à charbon ou a gaz devraient être mis en service d'ici 2020. Plus de la moitié de ces nouvelles capacités étaient déjà en projet avant le paquet énergie et la meilleure efficacité des nouvelles unités limitera leur impact... Mais un risque demeure : si les efforts venaient à ralentir ou si des difficultés techniques apparaissaient (par exemple dans l'équilibrage du réseau), cette période transitoire pourrait se prolonger, conduisant l'Allemagne à un mix électrique durablement plus émetteur en CO2.

Un autre point de préoccupation est le coût de la transition. Il est évalué à 250 milliards d'euros en 10 ans par la KfW, l'équivalent de la Caisse des dépôts, un chiffre difficilement exploitable sans une évaluation du coût des autres scénarios. Actuellement les ménages payent 0.036€/kWh au titre du soutien aux énergie renouvelables, c'est 3 fois plus qu'en 2009 mais le gouvernement allemand refuse une aide financière pour ne pas décourager les économies d'énergie.

Leçons pour la transition énergétique française


La transition énergétique française ne ressemblera certainement pas à celle de l'Allemagne. D'abord parce que celle-ci a porté essentiellement sur l'électricité alors que le grand débat national sur la transition énergétique qui aura lieu à l'automne devrait concerner toute les énergies. Ensuite parce qu'il est peu probable que la France se fixe comme objectif une sortie du nucléaire (le président Hollande ayant annoncé que la construction de l'EPR se Flamanville se continuerait).
Cependant, il est possible de tirer des leçons utiles de l'expérience allemande :
  • Une évidence d'abord : l'exemple allemand est en train de démontrer la faisabilité technique et économique d'un abandon maîtrisé du nucléaire.
  • Cependant, il montre aussi qu'une transition énergétique est un processus long. La transition allemande n'a pas commencé après Fukushima : elle s'étale déjà sur une dizaine d'années et son accélération en 2011 explique certains de ses défauts (augmentation temporaire de la consommation d'énergie fossile, recours des exploitants de centrales...). Il ne suffit pas d'une loi pour changer d'ère...
  • D'autant que c'est un processus réversible et par conséquent il est indispensable qu'il s’appuie sur un large consensus politique afin d'être à l'abri des changements de majorité. De façon très concrète, la transition énergétique française ne pourra réussir que si l'UMP adhère aux moins à ses grandes lignes. Quelques soient les orientations qui seront fixées, elles auront besoin d'entreprises et d'investisseurs, peut-on espérer qu'ils s'engagent si un parti de gouvernement proclame qu'il fera faire demi-tour au pays en 2017 ?
  • Le coût de la transition et son financement posent problème. Le faire porter par le consommateur envoie un signal important pour l'adoption de comportement d'économie d'énergie mais aggrave la précarité énergétique.
Enfin, il existe une différence importante entre la France et l'Allemagne. Lors de ses grandes lois sur l'énergie, en 2000 comme en 2011, l'Allemagne faisait partie des leaders mondiaux des technologies qu'elle adoptait. Ce n'est pas le cas de la France et c'est un défi supplémentaire : il faudra parvenir à concilier émergence de nouvelles filières et efficacité budgétaire ce qui plaide pour une logique d'apprentissage avec un effort important de R&D, à l'image finalement de ce qui avait été fait pour le nucléaire au début des années 70.


Publié le 20 août 2012 par Thibault Laconde


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