Sunday 24 July 2016

Prendre en compte lenvironnement dans une organisation humanitaire pourquoi et comment


J'ai été invité aujourd'hui au Salon des Solidarités pour parler de la prise en compte de l'environnement dans l'humanitaire. Je vous propose ici, tel que j'ai pu le reconstituer, le verbatim de cette conférence.

J'interviens après deux ONG (le GERES et Bolivia Inti) qui placent la protection de l'environnement au cœur de leurs actions. Mais qu'en est-il pour une organisation comme Action contre la Faim dont le mandat ne fait pas explicitement référence à cette question ? Doit-elle aussi se préoccuper de son environnement ?
Vous vous en doutez, je vais essayer de vous convaincre que oui. J'expliquerai ensuite ce que signifie pour ACF "prendre en compte l'environnement" et quelques-unes des difficultés que cela soulève. Enfin je vous décrirai les grandes lignes de notre démarche de responsabilité sociale et environnementale.

Pourquoi  les humanitaires devraient-ils se préoccuper d'environnement ?


Il ne vous aura pas échappé que même étymologiquement, il y a une contradiction entre les termes "humanitaire" et "environnement". D'un coté "les personnes qui s'intéressent au bien de l'humanité, cherchent à améliorer la condition de l'homme" de l'autre "l'ensemble des éléments qui entourent notre espèce"... dire qu'un humanitaire se préoccupe d'environnement, ça ressemble beaucoup à une oxymore.
Je pense qu'il est bon de garder ce constat à l'esprit et d'assumer que, quoi qu'il arrive, le rôle des humanitaires est de préserver des vies humaines avant de préserver la nature.

Ceci dit, il existe tout de même de bonnes raisons pour que les humanitaires se préoccupent de leur environnement. J'en compte quatre :
  1. D'abord, c'est le plus évident, parce que nous y sommes obligés. Notre action est régie par de nombreuses règles : réglementations locales, droit international, exigences des bailleurs de fonds, "droit mou" constitué par nos chartes, nos principes humanitaires, nos codes de conduite... Dans chacune de ces catégories se trouvent des règles qui nous obligent à un minimum de considération pour notre environnement.
    On peut citer par exemple dans la première catégorie l'article 75 de la loi Grenelle 2 qui oblige les organisations de plus de 500 salariés à faire un bilan des émissions de gaz à effet de serre. Dans la seconde catégorie - les règles bailleurs - le critère d'évaluation "développement durable" utilisé par l'Agence Française de Développement. Et dans la troisième, le principe de "ne pas nuire" ou l'exigence de transparence de la charte d'ACF.
  2. La seconde raison, c'est la gestion des risques. Ne pas prendre en compte l'environnement expose votre organisation à des risques, par exemple des risques d'image, des risques financiers (amendes, remise en état...) ou des risques sanitaires et sociaux...
    Mais surtout ne pas prendre en compte l'environnement expose les populations qui vous entourent à de graves risques. On pourrait citer des dizaines d'exemples, je ne vais en rappeler qu'un - dont nous n'avons à mon avis pas encore pris toute la mesure : la crise du choléra en Haïti. Le rapport du groupe d'experts indépendants de l'ONU a établi que l'épidémie était vraisemblablement partie d'effluents d'un camps de la MINUSTAH rejetés dans un affluent de l'Artibonite. Au départ, on a bien un problème environnemental, assez bénin d'ailleurs : une mauvaise gestion des eaux usées. Et à l'arrivée, il y a près de 8.000 morts, c'est-à-dire en ordre de grandeur autant que la catastrophe de Bhopal, la pire catastrophe industrielle de l'histoire !
  3. La troisième raison est un peu plus positive : prendre en compte l'environnement permet d'améliorer l'efficacité de l'aide. D'abord, parce que lorsque vous réduisez vos émissions de polluants, vos consommations d'énergie ou de matières premières, lorsque vous faites la chasse aux gaspillages... vous réduisez votre empreinte environnementale mais vous devenez aussi une organisation plus sobre, qui sera capable de faire plus avec les mêmes moyens.

    Un groupe électrogène rencontré en mission : performance environnementales
    et économie de carburant garanties...
    Ensuite parce que l'efficacité d'une organisation humanitaire ne se juge pas seulement au nombre de vies sauvées. Dans les années 90, ACF avait un slogan que j'aime beaucoup : "sauver les vies menacées, protéger les vies sauvées". Et c'est vrai que si vous portez secours à une population et que vous leur laissez ensuite un environnement dévasté, incapable de satisfaire leurs besoins ou dangereux pour leur santé, vous avez manqué votre objectif, et de très loin. Vous êtes là pour sauver des vies, mais vous devez aussi, pour reprendre une expression d'André Briend, assurer "la qualité de la survie".
  4. Enfin, prendre en compte l'environnement permet d'améliorer l'utilité sociale de votre organisation. Qu'est-ce que cela signifie ? Tout simplement que le bilan de votre organisation ne se juge pas seulement sur les effets de ses programmes. Votre fonctionnement aussi a des impacts sur la société et l'environnement. En les prenant en compte, par exemple en adoptant des pratiques d'achats responsables, vous allez créer ce que l'on appellerait dans le secteur marchand des externalités positives et ainsi améliorer le bilan global de votre organisation. A l'inverse évidemment, si vous négligez cette question, votre fonctionnement pourra avoir des impacts négatifs qui effaceront en partie les effets positifs de vos programmes.
En conclusion, ce que vous devez retenir si vous voulez convaincre au sein de vos propres organisations, c'est que les humanitaires ne protègent pas la nature pour protéger la nature mais parce que, à terme, cela leur permet de sauvegarder les conditions de vie et la santé des populations.

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