Tuesday, 23 February 2016
Lecture lécologie au pays des merveilles de Samuele Furfari
L'écologie est certainement en train de passer à l'âge adulte. Et, comme tout courant politique à ce stade, elle doit faire le tri dans ses propositions entre celles qui relèvent de l'utopie, utiles pour mobiliser et fixer un cap, et celles qui sont suffisamment matures et réalistes pour être mises en pratique.
C'est à cette tache que s’attelle Samuele Furfari dans "l'écologie au pays des merveilles" (sous-titré "Mirages et vérités du développement durable") publié chez François Bourin Editeur en mai 2012.
Une démarche salutaire, un livre sans intérêt
La démarche est a priori salutaire, le problème c'est que M. Furfari passe plus de temps à remâcher sa haine des mouvements écologistes (ces "pisse-vinaigre" "panthéistes" "formentés par le KGB" etc.) qu'à développer et argumenter ses positions.
Il ne s'en cache d'ailleurs pas puisque dès l'introduction il renvoie le lecteur désireux de vérifier ses affirmations à un ouvrage précédent édité par un pétrolier et facturé la modeste somme de 85€. Les autres n'ont qu'à le croire sur parole... Mais M. Furfari envisage-t-il qu'on puisse douter de sa parole, lui qui aligne ses titres de "docteur en sciences appliquées, ingénieur chimiste et ingénieur industriel" tout en dénonçant ceux qui, "ignorant jusqu'au fondement de la physique", ont le culot de s'exprimer sur "son" sujet ?
Pourtant, le lecteur attentif aura rapidement de bonnes raisons de douter de la parole et du sérieux de l'auteur. Comble : notre spécialiste de l'énergie montre, dès la page 12, qu'il n'a pas compris la définition du Joule et propose des applications numériques qui illustrent son ignorance des ordres de grandeur. Cette belle leçon est, bien sur, administrée sur un ton professoral et condescendant. On fait mieux pour bâtir une crédibilité...
Le reste est globalement du même acabit. Entre les coquilles et les erreurs grossières (lorsqu'il tente de montrer l'innocuité de l'accident de Fukushima, M. Furfari confond Sievert et millisievert se trompant ainsi d'un facteur 1000), entre ses contradictions et les outrances ridicules (le saviez-vous ? les allemands sentent mauvais à force de vouloir économiser l'eau de leurs douches), M. Furfari parvient à formuler quelques critiques recevables et même à avancer 2 ou 3 idées intéressantes, mais quelle patience il faut pour aller les chercher dans ce fatras !
Un dictionnaire de la rhétorique anti-écologiste
Il existe cependant une raisons pour recommander cette lecture : piochés à toutes les bonnes sources, des mouvements réactionnaires des années 90, style Wise Use, aux lobbyistes pétroliers d'aujourd'hui, ce livre fournit des échantillons riches et variés de la rhétorique anti-écologiste du quart de siècle passé.
Sa lecture pourra donc être profitable à ceux qui veulent comprendre ces arguments pour mieux les affronter. C'est d'ailleurs une façon de rendre la lecture de ce livre supportable, voire drôle parfois : tenter de répertorier et de classifier les arguties de l'auteur, un peu comme un entomologue classe les insectes. Voici une petite synthèse de mon classement.
D'abord la foi. "Quand on a la foi, on peut se passer de la vérité" disait Nietzsche. M. Furfari a ce genre de foi, à un degrés tel qu'il peut écrire que "l'histoire d'Enron [...] est la démonstration que le marché fonctionne bel et bien" ou bien que "après Fukushima on devrait apprécier [encore plus] le nucléaire". L'avantage de la foi est qu'elle ne se discute pas, inutile de s'y attarder donc.
La deuxième famille d'argument est celle du fameux "retour à la bougie". Ici, il s'agit se tromper volontairement d'ordre de grandeur pour montrer que le moindre aménagement mettrait en péril notre niveau de vie et conduirait nécessairement à renoncer à tout confort et tout progrès. Il faut reconnaitre à l'auteur de très remarquables spécimens de ce "raisonnement", par exemple au sujet des transports (il réussit à passer en un paragraphe de l'affirmation de bon sens "nous devrions éviter les déplacements inutiles et polluants" au retour du manse servile : "finalement le mieux c'est de rester dans sa commune") ou de l'eau (que l'on ne peut pas économiser sauf à accepter de sentir mauvais comme les allemands).
Une variante spatiale de cet argument consiste à faire peser la charge de la réduction sur d'autres, de préférence plus pauvres, comme si renoncer au nucléaire ne nous faisait finalement pas retourner à la bougie mais condamnait les africains à ne jamais échapper à la lampe à pétrole. L'argument gagne évidemment en force car, si on peut éventuellement accepter des sacrifices pour soi-même, comment les imposer à d'autres ?
Troisième procédé utilisé par l'auteur, la création du doute. Certains paragraphes du chapitre consacré au changement climatique sont impressionnants de savoir-faire : à aucun moment l'auteur n'expose ou ne critique la théorie "réchauffiste" (sic), il n'avance en fait même pas d'argument, il laisse simplement au lecteur naïf ou déjà convaincu le soin de se persuader de ce qu'il lui suggère sans avoir le courage de l'écrire.
Plusieurs méthode pour cela : présenter sur le ton de la révélation des faits que personne ne conteste, instiller le doute sur l'exactitude des mesures plutôt que sur le phénomène lui-même, monter en épingle tel ou tel parcours personnel... Finalement, affirmer que ne pas douter c'est faire preuve d'orgueil.
Sauf que, évidement, celui qui utilise cette rhétorique ne doute pas, lui, d'avoir raison contre tous. Là-dessus M. Furfari commet une petite erreur tactique : ce procédé n'est réellement efficace que si l'auteur peut se donner une apparence d'objectivité, au milieu de 250 pages d'imprécations, la ficelle est un peu grosse...
Un dernier type d'argument est bien illustré par cette démonstration : le marché est parfait car "le marché n'existe que lorsque l'acheteur et le vendeur sont contents de la transaction". Cette affirmation semble frappée au coin de bon sens, elle ignore pourtant un des fondements de la science économique : le théorème d'impossibilité d'Arrow selon lequel, pour faire simple, il n'existe pas de lien direct entre les préférences individuelles et les préférences collectives. En l’occurrence, une transaction peut être optimale pour ceux qui en sont partie et nuisible à la société dans son ensemble du fait de ses externalités négatives ou même simplement parce que l'acheteur le mieux-disant n'est pas celui qui utilisera le produit vendu de la façon la plus efficace.
M. Furfari nous donne, dès la première phrase de son livre un autre exemple de cette erreur. La protection de l'environnement, écrit-il, n'est pas un sujet car "personne ne souhaite vivre dans un environnement pollué". Effectivement, collectivement nous souhaitons un environnement sain mais cela ne nous empêche pas individuellement d'avoir intérêt à le dégrader pour en extraire des ressources, nous débarrasser de nos déchets, etc. C'est tout le problème.
Outre qu'il démontre une incompréhension profonde de la problématique environnementale, ce dernier raisonnement est particulièrement nuisible car, sous l'apparence du bon sens, il évacue tous les efforts qui ont été fait depuis une trentaine d'années pour concilier la sauvegarde de l'environnement avec une économie libre. C'est au moins un mérite de ce livre : il nous rappelle que sur ce sujet, il y a des incendiaires des deux cotés.
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