Monday, 11 January 2016

Nourrir la planète Quelques réflexions à un an de lexposition universelle de Milan


Logo de l'exposition universelle de Milan en 2015 "nourrir la panète"
Dans un an exactement, le 1er mai 2015, s'ouvrira l'exposition universelle de Milan. Son sujet ? "Nourrir la planète".

Je trouve le choix de ce sujet intéressant. Notre époque ne croit plus guère au progrès (en tant que mouvement général et irréversible de l'humanité vers un mieux) mais nous persévérons dans le culte de ses idoles : l'innovation et la technologie. Un sujet comme celui de l'expo de Dubaï en 2020 ("Connecter les esprits, Construire le futur") me semble beaucoup plus dans cet air du temps.
"Nourrir la planète", au contraire, sent bon le XVIIIe siècle, le terroir et les économistes en redingote.


Peut-on parler d'alimentation dans les mêmes termes qu'au XVIIIe siècle ?


Amis éditeurs, avez-vous pensé à faire paraitre au premier trimestre 2015 un recueil de textes choisis des physiocrates, de Malthus et des polémiques sur les Corn Laws ? Il y a là un profit facile : ces œuvres sont libres de droits depuis longtemps et je peux vous assurer que les débats que BFM-TV va passer en boucle dans un an n'iront pas au-delà de ces questions qui datent de deux siècles : La production agricole est-elle au fond la seule richesse que nous puissions créer ? L'augmentation de la population mondiale nous condamne-t-elle à la famine ? Doit-on protéger la production alimentaire nationale ?
Quand on connait les conditions dans lesquelles ces questions ont été posées (à l'époque de Malthus la ration alimentaire moyenne d'un anglais était inférieure à celle d'un homme du néolithique), il est presque incroyable qu'elles puissent sembler encore d'actualité aujourd'hui, alors que la moitié de l'humanité est menacée par la sur-nutrition et l'obésite.

Reste que le monde a connu encore en 2008 une crise alimentaire majeure et des émeutes de la faim. La pénurie et la famine sont bien des sujets d'actualité, peut-être même plus que nous le croyons. En ce début d'année 2014, les premier et second exportateurs mondiaux de riz (la Thaïlande et l’Égypte) sont en proies à des troubles politiques. Un exportateur important de blé, l'Ukraine, est au bord de la guerre civile et l'économie de la Russie (elle aussi grande exportatrice de céréales) vacille sous les sanctions occidentales.
Alors ? La production mondiale sera-t-elle suffisante pour satisfaire les besoins ?


Si on meurt de faim aujourd'hui, ce n'est pas faute de production...


En réalité la question n'est pas là. Selon la FAO, la production agricole mondiale permettrait de fournir 2700 calories par jour à chaque être humain alors que le besoin physiologique moyen est de 2000. Même si la population de la planète atteignait 11 milliards, ce qui semble être la limite haute fixée par les démographes, l'agriculture serait sans doute en mesure de satisfaire l'ensemble des besoins.
Comment dans ce cas expliquer que la malnutrition et les crises alimentaires persistent ?

Observons la crise alimentaire mondiale de 2008. Cette année-là, toujours selon la FAO, la production mondiale de blé a été  supérieure de 12% à celle de 2007, celle de riz a aussi augmenté de 4% et la production des autres céréales a dépassé de 6% les résultats de l'année précédente. Au niveau de la production, tous les indicateurs étaient donc au vert.
Le phénomène marquant de 2008 n'est pas un effondrement de la production mais un brusque envol des prix : après des décennies de relative stabilité, ils doublent en 6 mois.
Indice des prix agricoles de la FAO 1990-2014 : les crises alimentaires ne sont pas causées par de mauvaises récoltes mais par des cours trop élevés

Demande stable, production en nette hausse... et envol des prix. Cette situation peut paraitre paradoxale à ceux qui croient encore à l'efficience des marchés mais elle s'explique en réalité facilement. Au début de l'année 2008, des craintes sont apparues sur l'état des stocks et sur les récoltes à venir. Pour se prémunir contre un éventuel risque de pénurie, certains pays exportateurs ont limité leurs exportations et des pays importateurs parmi les plus solvables ont commencé à acheter à tout-va. Or les matières agricoles ont une spécificité : elles sont souvent consommées sur place, les volumes réellement disponibles à l'exportation sont faibles (de l'ordre de 5% de la production) et le marché est donc facile à déstabiliser. Résultat : même si les craintes étaient injustifiées, les cours se sont envolés.


...Le problème est au niveau de la répartition


Dans de nombreux pays d'Afrique et d'Asie, il n'est pas rare de consacrer 50% des revenus à l'alimentation. Inutile de faire des calculs compliqués pour comprendre que si vous dépensez la moitié de votre salaire pour vous nourrir et que les prix doublent vous allez avoir du mal à vous en sortir...
La cause de la crise alimentaire de 2008 n'est donc pas une production agricole insuffisante mais des prix trop élevés qui rendent une production abondante inaccessible aux consommateurs. Le problème n'est pas agricole mais économique et social.

Ce constat est général : les causes disettes ont toujours été en partie économiques même si des facteurs environnementaux peuvent faire figure de déclencheurs (souvenez-vous par exemple de la guerre des farines de 1776).
Aujourd'hui, la production agricole mondiale est largement excédentaire et il est possible de prévoir, notamment grâce à l'imagerie satellite la date et le volume des récoltes des mois à l'avance. Les moyens de transports existant permettent d'acheminer sans problèmes les excédents des régions favorisées vers celles qui sont dans le besoin. Le chainon le plus fragile est le dernier : celui du pouvoir d'achat du consommateur. La malnutrition contemporaine peut donc être considérée comme un phénomène exclusivement économique.


"Nourrir la planète" est d'abord un problème économique et social


Il est bon d'avoir cette réalité à l'esprit lorsque l'on parle de "nourrir la planète". En effet les bonnes âmes des multinationales de la semence et de l'agro-industrie n'hésitent pas à s'appuyer sur la persistance de la malnutrition pour défendre leurs modèles d'agriculture intensive basée sur l'emploi massif de fertilisants, de pesticides et maintenant d'organismes génétiquement modifiés. Il y a fort à parier que ce discours sera en bonne place lors de l'exposition universelle de Milan.
La réalité est inverse : les crises alimentaires sont causées par une répartitions inefficace des richesses, que ces firmes ne font qu'amplifier en captant la valeur produite par l'agriculture au détriment du producteur et du consommateur.

"Pour nourrir la planète, il faut moins d'inégalités, pas plus de technologie."




Ce n'est pas d'engrais et d'OGM dont les pays touchés par les pénuries agricoles ont besoin mais de coopératives capables d'assurer le transport et la mise en valeur locale de la production, d'installations de stockage pour ne plus subir les cours, d'accès au crédit pour financer ces investissements...
Et du coté des consommateurs, les réponses sont plus à rechercher dans le développement économique et la protection sociale que dans un modèle alimentaire occidental en faillite.

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